Action climatique et séparation des pouvoirs - Olivier R - 2022
Photo: Olivier R - 2022

- Par Luc Depré

Action climatique et séparation des pouvoirs

Dans l’affaire Klimaatzaak, les parties demanderesses sollicitaient d’ordonner à l’Etat belge et aux entités fédérées de prendre les mesures nécessaires pour amener la Belgique à diminuer le volume global des emissions de GES.

Dans l’affaire Klimaatzaak, les parties demanderesses sollicitaient d’ordonner à l’État belge et aux entités fédérées de prendre les mesures nécessaires pour amener la Belgique à diminuer le volume global des émissions de GES à partir du territoire belge dans les mesures suivantes:

  • En 2025, de 48% ou à tout le moins de 42% par rapport au niveau de l’année 1990 ;
  • En 2030, de 65% ou à tout le moins de 55% par rapport au niveau de l’année 1990 ;
  • Pour 2050, atteindre une émission nette nulle.

Dans son jugement du 17 juin 2021, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a estimé que : « cette demande d’injonction ne peut toutefois être accueillie sans qu’il soit porté atteinte au principe de séparation des pouvoirs ».

Le tribunal motivait sa décision en considérant que « sous la seule réserve des engagements pris à la suite du Règlement (UE) 2018/842 et de la Directive (UE) 2018/2001 précités, la manière dont la Belgique va participer à l’objectif mondial de réduction des émissions de GES relève actuellement du pouvoir d’appréciation de ses organes législatif et exécutif.

La mesure et le rythme de la réduction des émissions de GES par la Belgique ainsi que la répartition interne des efforts à faire en ce sens sont et seront le résultat d’un arbitrage politique dans lequel le pouvoir judiciaire ne peut s’immiscer ».

Le demande d’ordonner un calendrier accompagné des mesures nécessaires adoptées par les parties défenderesses a donc été jugée non fondée.

Dans l’intervalle, le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil, encore appelé la “loi européenne sur le climat” fixant les objectifs chiffrés et un calendrier, est entré en vigueur.

Au regard du jugement précité, les États membres gardent la maîtrise des mesures et du rythme des actions à mener pour atteindre ces objectifs climatiques dans un calendrier donné.

Dans une décision rendue ce mercredi 10 mai 2023, le Conseil d’État français élargit, nous semble-t-il, la marge d’intervention du juge.

Rappelons rapidement les éléments utiles à la bonne compréhension de cette affaire.

Saisi par la ville de Grande-Synthe et des associations, le Conseil d'État avait enjoint le Gouvernement de prendre, d’ici le 31 mars 2022, toutes les mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 40% en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990, notamment afin de respecter l’Accord de Paris et les engagements européens repris par le législateur français. Par une décision du 1er juillet 2021, le Conseil d’État avait donné un an au gouvernement français pour « infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre » afin de tenir ses objectifs. Un an après, le Conseil d’État vérifie si les actions menées traduisent une correcte exécution de sa décision. Le Conseil d’État estime que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du Gouvernement d’exécuter la décision, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée. C’est pourquoi le Conseil d’État ordonne aujourd’hui au Gouvernement de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024, et de transmettre, dès le 31 décembre, un bilan d’étape détaillant ces mesures et leur efficacité.( Emissions de gaz à effet de serre : le Gouvernement doit prendre de nouvelles mesures et transmettre un premier bilan dès cette fin d’année (conseil-etat.fr))

Le Conseil d’État estime que « le Gouvernement doit, pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1 er juillet 2021, justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national soit compatible avec l’atteinte des objectifs précédemment mentionnés, fixés à l’échéance 2030, … »

Le Conseil d’État en sa qualité de juge de l’exécution des décisions rajoute que « Pour déterminer si tel est le cas, le juge de l’exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l’instruction contradictoire permettant de s’assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d’exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. Il lui appartient, en particulier, en premier lieu, d’examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des évènements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, il lui appartient de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d’engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, il doit prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l’efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d’évaluation ou d’estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat qui intervient dans le cadre rappelé au point 5, pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l’ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l’atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d’annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l’action publique mises en œuvre, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. Si au terme de cette analyse, le juge de l’exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d’atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l’exécution de sa décision. Si au contraire il estime que tel n’est pas le cas, il lui appartient d’apprécier l’opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l’administration pour procéder à l’exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l’être. »

Au terme de son examen des éléments susmentionnés, le Conseil d’État français fait le constat que: « Il résulte de tout ce qui précède qu’il y lieu, sans prononcer d’astreinte, d’enjoindre à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 précité en vue d’atteindre les objectifs de réduction fixés par l’article L. 100-4 du code de l’énergie et par l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l’adoption de ces mesures et permettant l’évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. »

Enfin, dans son dispositif, la juridiction fait injonction « à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 en vue d’atteindre les objectifs de réduction fixés par l’article L. 100-4 du code de l’énergie et par l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024, et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l’adoption de ces mesures et permettant l’évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. » Aucune astreinte n’est prononcée.

Dans cette décision, le Conseil d’État prolonge sa surveillance sur l’efficacité de l’action de l’État français parce que l’écoulement du temps est un facteur déterminant objectif dans la lutte contre le réchauffement climatique. La juridiction établit un rapport indéfectible entre le temps et l’action de l’administration. Contrairement, à la juridiction belge, le Conseil d’État français impose donc un rythme à l’État français pour prendre les mesures efficientes.

Expertises liées: Environnement