Le Tribunal international du droit de la mer se prononce en matière de changements climatiques pour la première fois de son histoire - © itlos.org
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- Par Thomas Mouligneaux

Le Tribunal international du droit de la mer se prononce en matière de changements climatiques pour la première fois de son histoire

Ce 21 mai 2024, le Tribunal international du droit de la mer, saisi par la Commission des petits Etats insulaires, a rendu un avis consultatif sur le changement climatique et le droit international.

Le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) est un organe judiciaire indépendant créé par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer en 1982. Il jouit d’une compétence contentieuse et d’une compétence consultative. Dans le cadre de cette dernière, il a été appelé à se prononcer sur un enjeu climatique pour la première fois de son histoire. Les questions qui lui étaient posées étaient les suivantes :

Quelles sont les obligations particulières des Etats Parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« la CNUDM ») ; notamment en vertu de la partie XII :

  • de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin eu égard aux effets nuisibles qu’a ou peut avoir le changement climatique, notamment sous l’action du réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, et de l’acidification des océans, qui sont causés par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ?
  • de protéger et préserver le milieu marin eu égard aux incidences du changement climatique, notamment le réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, et l’acidification des océans ?

Le Tribunal a répondu par l’affirmative aux deux questions, à l’unanimité.

Au terme d’une décision longue de 167 pages, le Tribunal déclare que « les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (« GES ») dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin ». Il insiste sur l’obligation qui incombe aux Etats Parties « de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine » résultant de ces émissions. Il s’agit pour eux d’une « obligation de diligence requise », dont le niveau d’exigence est élevé, « compte tenu des risques aigus de préjudice grave et irréversible au milieu marin ». Ce niveau d’exigence est encore plus élevé du fait de la nature « transfrontalière » de la pollution. A cette fin, Il enjoint aux Etats Parties d’« harmoniser leurs politiques ».

S’Il concède que « la portée et la teneur des mesures nécessaires peuvent varier en fonction des moyens dont disposent les Etats et de leurs capacités », le Tribunal estime néanmoins que celles-ci « devraient être déterminées objectivement, en tenant compte, entre autres, des meilleures connaissances scientifiques disponibles et des règles et normes internationales pertinentes énoncées dans les traités sur le changement climatiques », plaçant ainsi la barre plus haut que l’Accord de Paris (2015) et son objectif de limitation de l’augmentation de la température mondiale à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. « Cette obligation requiert l’application de l’approche de précaution et d’une approche écosystémique », peut-on encore lire.

Plus concrètement, l’avis rappelle aux Etats Parties leurs obligations « d’exercer une surveillance continue, de publier des rapports correspondants et d’effectuer des évaluations d’impact environnemental, comme moyen de lutter contre la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES », lesquelles figurent aux articles 204 à 206 de la Convention.

Bien que l’avis du Tribunal soit dépourvu de d’effet contraignant, d’aucuns y voient une victoire importante pour les petits Etats insulaires, menacés par l’élévation du niveau de la mer. S’inscrivant dans la continuité de l’arrêt rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, il pourrait constituer un précédent important dans le développement du contentieux climatique à l’échelon international. A cet égard, l’on sera particulièrement attentif à l’avis de la Cour internationale de Justice, appelée le 29 mars 2023 par l’Assemblée générale de l’ONU à se prononcer sur les obligations des Etats en matière de changements climatiques. L’avis est attendu pour la fin du mois de juin 2025.

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