Bruxelles : moratoire sur l’urbanisation et l’imperméabilisation des sites et terrains non bâtis de plus de 5.000m2 - Anna Saccomano, "Les Dames blanches", 2025
Photo: Anna Saccomano, "Les Dames blanches", 2025

- Par Camila Dupret Torres

Bruxelles : moratoire sur l’urbanisation et l’imperméabilisation des sites et terrains non bâtis de plus de 5.000m2

Le 29 octobre 2025, la Justice a ordonné à la Région bruxelloise de « prendre les mesures nécessaires pour suspendre l’urbanisation et l’imperméabilisation des sites et terrains non bâtis de plus de 0,5 ha sur son territoire ».

L’affaire, portée par l’association WeAreNature.Brussels, l’association Bruxelles Nature ainsi que par 1330 citoyen.ne.s bruxellois.e.s devant le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, visait à faire reconnaître que la délivrance de permis de construire sur les espaces naturels bruxellois de plus d’un demi-hectare contrevient aux engagements et objectifs climatiques d’augmenter les puits de carbone et de prendre des mesures d’adaptation fondées sur la nature.

Dans son jugement, le Tribunal commence par faire état des consensus scientifique et politique européens et internationaux sur (1) l’existence et la gravité de la menace du changement climatique, ses effets néfastes, en particulier pour les zones urbaines ; (2) la nécessité urgente de les limiter en renforçant les capacités d’absorption des émissions de GES ; et (3) le fait que contribuent à l’atténuation des émissions nettes de GES et à l’adaptation au changement climatique, (i) la conservation et la restauration des terres, (ii) la lutte contre la désertification et (iii) la réduction de la déforestation.

Le Tribunal constate ensuite que la Région de Bruxelles-Capitale ("RBC") a manqué à l’obligation générale de prudence résultant de l’article 1382 de l’ancien Code civil, dès lors qu’ayant pleinement connaissance des éléments précités depuis 2015 au moins :

  • la RBC ne remplit pas les exigences minimales de réduction d’émissions de GES qui s’imposent à elle, comme l’a déjà constaté la Cour d’appel de Bruxelles dans l’arrêt Klimaatzaak du 30 novembre 2023 ;
  • elle ne dispose d’aucune estimation actualisée de la capacité régionale d’absorption des GES par les puits naturels, alors qu’il s’agit d’une obligation de droit international et de droit européen à laquelle l’État belge doit répondre ;
  • l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols continuent de s’accroitre sur le territoire régional bruxellois ;
  • et les outils règlementaires de la RBC sont obsolètes : son Plan régional d'affectation du sol ("PRAS"), adopté en 2021, et son Règlement régional d'urbanisme ("RRU"), adopté en 2006, n’intègrent pas les objectifs climatiques tels que la réduction des émissions de GES, le développement des sources d’énergie renouvelables et l’adaptation au changement climatique, de sorte qu’il s’agit d’actes règlementaires qui n’ont pas permis de freiner l’imperméabilisation des sols et qui ne sont plus adaptés aux enjeux liés aux effets du dérèglement climatique.

Le Tribunal se fonde sur les documents d’orientation, de programmation et d’intégration de la politique d’aménagement du territoire de la RBC pour déduire que cette dernière avait connaissance du lien entre imperméabilisation et urbanisation et les effets néfastes du changement climatique, tels que le Plan régional air, climat et énergie (« PACE » ou « PRACE »), le Plan de gestion de l’eau (« PGE »), le Plan régional Nature (« PRN ») ou encore le Plan régional de développement durable (« PRDD »).

S’agissant du dommage, le Tribunal constate que les bruxellois.e.s à la cause estiment à bon droit subir un dommage résultant de la perte d’une chance d’éviter de subir les effets du dérèglement climatique dans une moindre mesure et ce dès lors qu'aucun d’entre eux « n’échappe aux effets négatifs (canicules, sécheresses, inondations, …) du changement climatique qui, d’une manière ou d’une autre, se manifeste sur l’ensemble du territoire bruxellois », et que ces effets néfastes « vont encore se multiplier et s’aggraver à court et moyen terme ».

 S’agissant des mesures de réparation et de prévention sollicitées :

  • le Tribunal rejette la demande visant à condamner la RBC à intégrer dans ses outils de planification (RRU et PRAS) les prescriptions littérales et graphiques (1) nécessaires pour renforcer les absorptions des GES par les puits naturels sur son territoire et (2) mettant en œuvre une stratégie d’adaptation, et ce dans la mesure où cette demande était trop vague et imprécise que pour permettre à l’injonction sollicitée d’être vérifiable ;
  • le Tribunal fait droit à la demande de moratoire sur l’urbanisation des sols et l’imperméabilisation des sites et terrains non bâtis d’une superficie de plus de 0,5 ha (soit 5.000m2), et ce dès lors qu’une telle mesure est de nature à atténuer le risque d’aggravation du dommage précité et d’intégrer utilement le devenir de ces sites dans la réflexion devant être menée, en concertation avec le public, dans le cadre de la révision du PRAS.

Notons que, faisant application du principe de la séparation des pouvoirs, le Tribunal constate qu’il ne lui appartient pas de s’immiscer dans le choix de la RBC des mesures à mettre en œuvre pour parvenir à ce résultat (par exemple la suspension de délivrance de permis ou même de permis déjà délivrés par le fonctionnaire délégué…).

L’interdiction faite à la RBC court jusqu’à l’adoption du PRAS, dont la révision a été initiée par l’arrêté du Gouvernement bruxellois du 23 décembre 2021. Toutefois, le Tribunal fixe une seconde limite temporaire au 31 décembre 2026.

Le jugement du 29 octobre 2025 peut être consulté dans son entièreté sur le site de WeAreNature.Bussels.

Expertises liées: Environnement, Immobilier et urbanisme, Gestion publique et textes légaux