Une cycliste transgenre obtient gain de cause contre une organisation cycliste internationale devant la justice belge - EQUAL team
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- Par Anna Saccomano

Une cycliste transgenre obtient gain de cause contre une organisation cycliste internationale devant la justice belge

Le tribunal de première instance de Bruxelles a reconnu le caractère discriminatoire des règles imposées par une organisation cycliste internationale aux athlètes transgenres pour participer aux compétitions féminines.

Par une ordonnance du 10 juillet 2025, le tribunal de première instance de Bruxelles a reconnu le caractère discriminatoire des règles imposées par une organisation cycliste internationale aux athlètes transgenres pour participer aux compétitions féminines.

Un cadre légal d’ordre public

La demanderesse avait sollicité une licence auprès d’une fédération de cyclisme francophone, qu’elle s’était vu refuser pour violation des règles de l’organisation cycliste internationale mise en cause et auxquelles cette fédération adhère. Le sport est une compétence communautaire et la licence a été refusée par une fédération cycliste francophone, le juge a donc considéré que la législation applicable était le décret du 12 décembre 2008 de la Communauté française relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination (ci-après : le décret du 12 décembre 2008), et non la loi fédérale anti-discrimination du 10 mai 2007.

Le juge a rejeté l’argument de l’organisation cycliste internationale qui invoquait la compétence exclusive du Tribunal arbitral du sport basé sur la clause d’arbitrage que contient son règlement médical interne et le formulaire de demande de licence complété par la demanderesse. Se fondant sur l’article 43 du décret du 12 décembre 2008 et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en la matière, le juge a rappelé que les dispositions du décret précité sont d’ordre public. Dès lors, toute renonciation aux droits qu’il garantit — notamment l’action en cessation de pratiques discriminatoires intentée ici — est nulle. Le juge rejette, notamment pour cette même raison, l’argument pris de la compétence exclusive des tribunaux suisses en vertu de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007.

La procédure : l’action en cessation

La demanderesse a fondé son action sur l’article 50 du décret du 12 décembre 2008, qui prévoit la possibilité pour les victimes de discrimination d’introduire une action en cessation devant le président du tribunal de première instance. Cette action est formée et instruite selon les formes du référé. Le juge se prononce donc « comme en référé », par voie d’ordonnance. Ceci permet de bénéficier de la rapidité du référé tout en obtenant une décision sur le fond.

Une distinction fondée sur le genre injustifiée et disproportionnée

Sur le fond, l’ordonnance critique les nouvelles mesures de l’organisation cycliste internationale à l’égard des femmes transgenres. Selon les règles contestées, ces dernières doivent fournir une déclaration écrite et signée attestant que leur identité de genre est celle d’une femme, démontrer n’avoir connu aucun stade de la puberté masculine après l’âge de 12 ans, et maintenir un taux de testostérone inférieur à 2,5 nmol/L à tout moment. L’objectif invoqué par l’organisation est celui du maintien de l’équité dans les compétitions féminines.

Si le juge admet que cet objectif est légitime, il constate que les moyens choisis par l’organisation pour l’atteindre ne sont ni appropriés ni nécessaires. 

D’une part, les moyens ne sont pas appropriés dès lors que l’exclusion repose sur une hypothèse — celle d’un avantage compétitif injuste des femmes transgenres — qui n’est pas scientifiquement étayée. Les règles du Comité international olympique, applicables à l’organisation, prévoit pourtant une présomption de non-avantage des athlètes transgenres, impliquant que toute restriction de ces athlètes aux compétitions doit s’appuyer sur des recherches solides et représentatives, démontrant un avantage compétitif constant, injuste et disproportionné dans la discipline concernée. L’organisation reconnaît elle-même que les recherches actuelles concernant le cyclisme sont insuffisantes.

D’autre part, le juge estime que la condition de n’avoir connu aucun stade de la puberté masculine après l’âge de 12 ans est irréaliste et revient à exclure purement et simplement toutes les athlètes transgenres de ces compétitions, 12 ans étant un âge extrêmement précoce pour avoir atteint ce niveau de transition. Or, l’organisation elle-même n’affirme pas qu’il serait nécessaire d’exclure toutes les femmes transgenres des compétitions pour atteindre l’objectif d’équité recherché. Elle dit au contraire poursuivre un objectif d’inclusion et vouloir permettre aux femmes transgenres de prendre part aux courses cyclistes dans la catégorie femmes (à certaines conditions). Le juge estime ainsi que les règles adoptées vont au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser le but poursuivi. 

La reconnaissance d’une discrimination et ses conséquences

Le juge conclut ainsi que les règles contestées instaurent une discrimination interdite par le décret du 12 décembre 2008. Les règles litigieuses sont déclarées nulles en vertu de l’article 43 de ce décret. Le juge précise par ailleurs que l’ordonnance produit ses effets au-delà des territoires wallon et bruxellois, dès lors que trois fédérations cyclistes belges (nationale, francophone et néerlandophone) appliquent les règles de l’organisation cycliste internationale jugées discriminatoires, et que le décret du 12 décembre 2008 relève de l’ordre public international belge. 

Les athlètes transgenres belges ne pourront donc en principe plus se voir refuser l’accès aux compétitions de l’organisation en question au motif du non-respect de ces règles. En effet, au regard de la portée de la nullité prévue à l'article 43 de ce décret, il s'agirait d'une nullité ex tunc des règles discriminatoires d'éligibilité pour les athlètes transgenres, qui s’imposerait à l'ensemble des fédérations belges de cyclisme (voy. le commentaire de P. Wautelet au sujet des articles 15 et 20 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, transposable selon l'auteur à l'article 43 du décret du 12 décembre 2008 – « Les garanties de la non-discrimination : sanctions civiles et aspects de procédure dans les lois fédérales luttant contre la discrimination » in Le droit de la lutte contre la discrimination dans tous ses états, Commission Université Palais n°108, Anthemis, 15 février 2009).

Une décision à portée concrète

Cette décision rappelle l’obligation pour les fédérations sportives opérant en Belgique de se conformer aux exigences légales nationales en matière de non-discrimination, indépendamment des règles sportives adoptées au niveau international. Sans remettre en cause la légitimité de l’objectif d’équité dans les compétitions sportives, le tribunal rappelle que toute restriction à la participation des athlètes transgenres doit être justifiée par des éléments scientifiques probants, et proportionnée. Ce type de décision pourrait peut-être inciter les instances sportives internationales à réévaluer leurs règlements à l’aune des droits fondamentaux protégés par les législations nationales.

Lien vers la décision complète: 20250710_ano.pdf

Expertises liées: Santé et sécurité sociale, Gestion publique et textes légaux, Vie privée et données personnelles